Espèce Perdue

Par Eric Lafon
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Espèce Perdue

Partie Une : Regards

Le nez une fois de plus penché sur le montant de ses factures, le maigre chiffre d’affaire de son entreprise, en comparaison, faisait pâle figure. Il voyait bien qu’il allait droit dans le mur, mais ne savait comment s’en sortir. Le plus dur restait à faire : lever les yeux de ces papiers et affronter ceux de sa femme.

Maxime avait joué un gros coup de poker en vendant son restaurant parisien pour en ouvrir un autre en Australie. Il en avait eu assez de lire des articles de presse sur les expatriés qui faisaient fortune à l’étranger. Cette fois c’était son tour. Du moins l’avait-il cru au début.

Lorsque sa guinguette, installée en plein Montmartre, lui avait permis d’engranger quelques bénéfices, Annie, sa femme, avait insisté pour en ouvrir une deuxième à Saint-Germain. Mais Max était fatigué du ciel gris de la capitale. Grâce à de vagues connaissances et à internet, il entra en relation avec un certain M. Dunwall, homme d’affaires résidant à Melbourne. Bien qu’Annie tenait la comptabilité depuis presque dix ans pour lui, c’était de façon unilatérale que Max avait conclu le marché avec l’Australien. Un local situé à Dromana, une ville au sud de Melbourne, assise sur la Port Phillip Bay, immense plage paradisiaque. Un lieu dans lequel Max ferait un tabac avec un restaurant cabaret à la française. Il se voyait déjà patron d’un nouveau Moulin-Rouge. C’était donc sans aucun regret qu’il avait pris l’avion avec sa femme et Sacha, son fils de onze ans.

Maintenant, Sacha allait sur treize ans, le « French Red Cabaret » n’avait plus un sous en caisse. La mayonnaise ne prenait pas. Les clients se faisaient rares et la multiplication des publicités n’avait rien changé. Dunwall s’était retiré de l’affaire depuis six mois et le restaurant bien que superbe, ne rapportait pas de quoi vivre.

Mais le plus dur restait à faire : lever les yeux de ces papiers et affronter ceux de sa femme.

Max commençait à entrer dans le cercle si vicieux de la dépression. Il se sentait au pied d’un mur dont il ne voyait pas le haut en levant la tête. Annie, passée de comptable à comptable ET serveuse, faisait de son mieux pour ne pas exploser de colère et de rancune. Mais il y avait toujours un « je te l’avais dit » pour mettre le feu aux poudres. Sacha, malgré son jeune âge, avait bien saisi le problème. En pleine croissance, il traînait des vêtements devenus trop petits et devait endurer les moqueries de ses camarades d’école. Il admirait son père pour le courage dont il avait fait preuve pour tout quitter mais il lui en voulait aussi pour la dégringolade vertigineuse de leur train de vie. Enfant partagé dans ses sentiments, mariage menacé, avenir sans espoir, ainsi était la vie telle que la voyait Maxime Roussel.

Le matin, en se rasant devant son miroir, Max avait beaucoup de mal à se regarder dans les yeux, et lorsqu’il croisait son propre regard, il ressentait un immense sentiment de vide et une douleur sourde au creux de l’estomac. La dépression étant sournoise, une fois au fond du gouffre, Max ne voyait plus par ses yeux mais par ceux de la maladie. Ainsi, il se rendait bien compte que là où il était tombé, il ne pourrait pas remonter. Et comme bien souvent dans ces cas-là, les idées noires pointent le bout de leur nez. Le suicide commence à ressembler à une délivrance plus qu’à un acte de lâcheté. Max se disait que sa famille s’en sortirait mieux sans lui, qu’il l’avait menée à la ruine. En plus, à son décès, sa femme toucherait un petit pécule qui lui permettrait de rentrer en France dans de bonnes conditions pour recommencer une nouvelle vie. Le raisonnement d’un dépressif peut sembler égoïste, mais lorsque l’on se sent totalement inutile, voire nuisible, à ceux qu’on aime, la mort s’impose de plus en plus dans un esprit affaibli par les aléas de la vie. Sa décision était prise.

Mais la destinée, aussi chienne qu’elle puisse paraître, peut parfois nous redonner un brin d’espoir quand tout semble perdu. Dans le cas de Max, cette lueur vint de son fils et d’un magazine. Le restaurateur était encore une fois en train de broyer du noir devant la télévision lorsque Sacha sortit de sa chambre, un numéro de « Science et vie Junior » à la main.

-Papa regarde! Plutôt que de jouer au loto et de ne jamais rien gagner, on pourrait aller à la chasse au Thylacine!

Maxime sortit lentement de sa torpeur.

-La chasse au quoi?

-Au Thylacine, c’est le vrai nom du loup ou tigre de Tasmanie. Un magazine offre 1,25 millions de dollars à qui rapportera une preuve de son existence. L’intérêt de Max redescendit d’un cran.

-Prouver son existence… C’est encore un mythe comme le monstre du Loch Ness ou le Bigfoot. Quand j’étais petit, en colonie dans les Pyrénées, on chassait le Dahut. Tu sais, c’est facile de promettre une montagne d’argent quand on a la certitude que personne ne pourra confirmer l’existence d’une telle créature.

Sacha leva les yeux au ciel et tendit le magazine à son père.

-Regarde, ça n’a rien d’une légende, il y a même des photos. C’est une race de marsupial qui a été chassé à outrance au début du siècle dernier. Le dernier spécimen connu est mort en 1936 au zoo de Hobart en Tasmanie. Mais des centaines de témoins affirment en avoir vu dans le sud de l’Australie ou dans l’île de Tasmanie même.

Son père attrapa le journal et lut l’article. Le gamin avait remarquablement résumé l’histoire du Thylacine. Le reste du reportage décrivait cet animal si curieux. Il ressemblait à un loup avec une queue de kangourou et une gueule qu’il pouvait ouvrir de façon démesurée. Comme les autres marsupiaux, les femelles possédaient une poche ventrale, celle-ci était dirigée non pas vers l’avant du corps mais vers l’arrière. Certaines personnes l’appelaient tigre du fait des rayures qui zébraient son dos. Des photos en noir et blanc illustraient la description.

Max resta silencieux et bloqua sur le montant imprimé sous ses yeux: 1,25 millions de dollars…

-Papa? Je rigolais hein! Je ne veux pas aller à la chasse au thylacine!

-Mouais… Tout cet argent contre un cliché, c’est tentant quand même. Mais bon…

Il rendit le magazine à son fils et poussa un soupir.

-Si ça pouvait être aussi simple! Allez, je vais faire à manger.

Une semaine passa et cette idée folle ne voulait pas le lâcher. « Après tout pourquoi pas se disait-il. Quitte à me foutre en l’air autant essayer. Si j’en trouve un, fini les problèmes. Si je n’en trouve pas, je disparais là-bas. De toute façon en cas de suicide mon assurance paiera moins que s’il s’agit d’un accident. Si je meurs sur cette île, ça sera forcément considéré comme une mauvaise chute ou une attaque animale. Soit je le trouve, soit je ne reviens pas. Et puis vis-à-vis de Sacha et d’Annie, une disparition dans une île sauvage vaut mieux qu’un mari ou un père suicidé. Ils ne comprendraient pas. » Empêtré dans sa dépression, il trouvait un réconfort dans cette ultime idée. Cela devint obsessionnel. Il devait aller jusqu’au bout.

Encore une fois, il dut affronter le regard de sa femme. Annie le fixait incrédule, ainsi que Sacha. Ils étaient à table quand Max avait annoncé son intention de tenter sa chance avec le loup de Tasmanie.

-Écoute chéri, commença Annie, ta dernière grande idée ne nous a pas vraiment porté bonheur. Tu n’es pas un chasseur, tu vas inévitablement te perdre et tu pourrais y laisser des plumes, voire plus. « Si elle savait comme cet argument était inutile. »

-C’est toi qui devrais m’écouter. Je vais juste tester ma baraka une semaine ou deux et puis je rentre, c’est tout.

-C’est tout! Deux semaines dans la forêt! Mais tu as perdu la tête!

-Cet argent nous permettrait de nous sortir de la merde, tonna Max. Je veux juste essayer. Ce n’est pas la fin du monde! Au boulot, Carlos pourra très bien se débrouiller sans moi pendant deux semaines. Vu la foule qui se bouscule pour venir manger chez nous…

Un long silence suivit, Max n’était pas du genre à s’énerver, le fait qu’il hausse la voix avait eu un impact sur sa famille. Sacha parla le premier.

-Maman…. Je suis désolé, c’est moi qui lui en ai parlé, je n’imaginais pas que papa y penserait sérieusement.

Sa mère l’arrêta d’un geste.

-Ce n’est absolument pas de ta faute. Si ton père a des idées tordues c’est son problème. Et s’il veut se perdre dans les bois, qu’il le fasse. Apparemment, sa décision est prise et il ne nous demande pas notre avis. Une fois de plus…

Maxime soupira et se laissa aller sur le dossier de sa chaise.

-Annie, s’il te plait…

-C’est bon! Va faire ta chasse au monstre et laisse-moi tranquille !

C’est ainsi qu’une bête blessée obtint le feu vert pour aller se laisser mourir.

Partie Deux : Le Début de la Traque.

Max atteignit la Tasmanie après avoir pris un ferry. Le coffre du 4X4 loué, était rempli de provisions faciles à préparer, du corned-beef et des plats à réchauffer, ainsi que plusieurs jerricans d’eau et de gas-oil. Il avait emporté son téléphone et un GPS ; le véhicule lui servirait de base itinérante. Premier objectif : la pointe nord-ouest de l’île. Pas mal d’observations avaient été signalées dans ce secteur. La Tasmanie a une forme de dent. De canine. S’il ne trouvait rien au bout de trois jours, il se dirigerait côté nord-est. Là aussi, des témoins juraient avoir vu un tigre de Tasmanie. Il détenait deux objets précieux : son reflex numérique Nikon avec un téléobjectif de 300mm, et un fusil pour gros gibier. Il ne savait pas trop comment manipuler cet engin mais mieux valait être prudent. Une arme peut toujours être utile…. Il s’était donné dix jours pour apercevoir un thylacine, ensuite il passerait à la tâche macabre de ce qu’il pensait être sa délivrance.

Jour 1

A peine eut-il quitté la côte qu’il plongea dans la forêt sauvage. La piste devenait de moins en moins praticable. Il décida, une heure avant le coucher du soleil de s’établir un camp pour la nuit. Il ne connaissait pas grand-chose au camping. Il choisit de s’installer dans une petite clairière. Heureusement il avait prévu des allume-feux chimiques, les mêmes que l’on utilise lors des barbecues. Il était très loin du héros de l’émission « Man vs Wild ». Il se réchauffa un plat préparé, mais il ne mangea pas tout, car les restes lui serviraient d’appât. Max plaça donc l’assiette assez loin du feu de camp, mais assez près tout de même pour avoir une vue sur ceux qui viendraient « dîner ». La toile de tente aux couleurs camouflages, qu’il venait d’acheter dans un magasin de surplus militaire, lui offrait, du moins le pensait-il, une couverture satisfaisante. Gérer le sens du vent ne lui était même pas venu à l’esprit. Des petites bestioles dont il ignorait absolument tout, vinrent grignoter dans son assiette mais pas la moindre trace d’un Thylacine. Il finit par s’endormir vers trois heures du matin. Quel chasseur !

Jour 2

Max, passa la journée à traquer des empreintes. Il avait cherché et trouvé des modèles sur internet et les avait imprimés avant de partir. Un moment il crut en repérer une assez ressemblante, à peu près visible dans un sol argileux. Mais il eut beau faire le tour des dizaines de fois, il n’en trouva pas une deuxième. Quant à dater l’empreinte, il en était incapable. Il n’était même pas sûr que ce fut une trace de Loup de Tasmanie… Après le super chasseur, le super pisteur. A peine quarante-huit heures qu’il était arrivé, et il perdait déjà courage. « Mais qu’est-ce que je fous ici à chasser les chimères ? » Il savait que les meilleurs traqueurs avaient déjà tenté leur chance sans résultat. Qu’espérait-il, lui, simple chef cuisinier ? Hé bien de la chance, juste de la chance, qui arriverait enfin dans sa vie. Il repensa pour la centième fois à la prime pour se redonner du courage.

Cette deuxième nuit, il décida de ne pas se servir à nouveau de ses restes comme appât, mais d’un cadavre de lapin qu’il avait apporté dans une glacière avec quelques autres. Il prit soin d’attacher le leurre à une cordelette et de le mettre un peu en hauteur, afin que la première bête venue ne puisse s’enfuir avec la viande.

Vers deux heures du matin, un Diable de Tasmanie, ou peut-être autre chose, tenta sa chance avec le lapin. Max essaya de le faire fuir avant qu’il n’emporte son butin, mais l’animal, au caractère bien trempé, lui tint tête et finit par s’en aller avec sa nourriture. Il s’en était pris directement à la cordelette. Pas idiot du tout. Ayant eu sa dose de frousse pour la nuit, Max se coucha piteusement, plus déprimé que jamais.

Jour 3

Le GPS chargé à bloc, grâce à la batterie de la voiture, et des provisions dans son sac, Max avait décidé, avant de quitter cette zone, de chercher des grottes ou des cavités qui pourraient servir d’antre au Tigre de Tasmanie.

La veille, il avait aperçu des reliefs rocailleux. Il arpenterait donc ce coin de l’île avant de passer au nord-est. Il avait tout préparé. Lampe torche style « Mag-light » avec des piles neuves, idem pour son appareil photo. Une carte SD neuve de 128 Go, prête à tout enregistrer.

Ce jour-là, il prit un grand nombre de photos. Aucune trace d’un Thylacine, mais il avait croisé beaucoup d’animaux étranges et dangereux : chauve-souris énormes, serpents en tout genre et des araignées dignes de films d’horreurs. Il se demandait lui-même pourquoi il prenait tous ces clichés, étant donné qu’il ne comptait pas rentrer, sauf si par miracle, il croisait le chemin de la bête tant recherchée. Aurait-il repris un peu d’espoir, sans même s’en rendre compte ? En tous cas cette journée avait failli être sa dernière. Surpris par un énorme reptile qui prenait le chaud sur une pierre, Max avait, dans un geste de recul, fait une chute de plus de deux mètres et s’était blessé à la cheville. En tombant, sa tête avait frôlé de quelques centimètres seulement une roche acérée, et il 6

s’en était fallu de peu pour que son « accident préparé » devienne réalité plus tôt que prévu. Sa cheville droite le faisait un peu souffrir mais pas au point de l’empêcher de continuer sa traque. Il avait emporté dans ses bagages une trousse de premiers secours et quelques antidouleurs. Il reprit donc sa traque en boitillant un peu. Mais dorénavant il serait à l’affût et ne se laisserait plus surprendre comme il l’avait été avec ce maudit serpent. Le soir allait bientôt tomber et Max s’apprêtait à rentrer à son camp de base, lorsqu’il aperçut les mêmes traces que celles repérées la veille. Cette fois, il y en avait trois qui se dirigeaient vers la base d’une petite falaise. Il s’avança vers la formation rocheuse et découvrit une faille qui s’enfonçait assez loin pour qu’il n’en voit pas le bout avec sa lampe. Il décida d’y entrer, appareil photo allumé et tous ses muscles tendus. La grotte s’étalait sur une cinquantaine de mètres avant de bifurquer brutalement sur la droite. Encore une vingtaine de pas et il arriva au fond. Après le virage, une odeur lui gifla les narines. S’en était presque insoutenable, il se cacha le nez sous son tee-shirt mais cela ne fut pas d’un grand secours. Il scruta la caverne avec sa puissante torche. Un coin tout entier semblait dédié aux matières fécales. Côté opposé, il restait des vestiges de repas carnivores. Des centaines d’ossements, allant du petit oiseau à des squelettes beaucoup plus grands, qu’il ne sut identifier. Une excitation s’empara de lui. Et s’il avait trouvé l’antre d’un Thylacine ? Mais il n’était pas un traqueur, ni un chasseur. Que faire ? Rester dans la grotte, tapi dans un trou ? L’animal quel qu’il soit le sentirait sûrement et ne tomberait pas dans le piège. Ou peut-être, en faction dehors, camouflé, en braquant son téléobjectif vers l’entrée ? Il opta pour la seconde solution.

Max trouva un petit promontoire en hauteur à une quarantaine de mètres de l’entrée. Il pouvait s’y allonger tout en ayant une vue bien dégagée de l’antre. Et maintenant, l’attente. Il s’était recouvert le corps de petits branchages, pensant que cela suffirait à masquer son odeur.

Partie 3 : Traqueur traqué

Shana sent, Shana sait. C’était elle qui conduisait la meute. C’était elle la patronne et gare à qui l’oublierais. Cette odeur, elle la connaissait très bien, peut-être même trop bien. C’était bon à manger. Mais ça se défendait. La dernière fois qu’elle en avait mangé, Shana y avait laissé une oreille. Depuis plusieurs jours, la bande n’avait eu à se mettre sous la dent que du petit gibier. Les autres membres ne savaient pas. L’odeur avait l’air de les apeurer. Pas Shana. Elle mit ses troupes en formation d’attaque. L’endroit était calme. L’odeur venait d’un gros truc un peu carré. Ça provenait de dedans. Les autres, enhardis par l’absence d’activité, s’approchèrent, et humèrent de la nourriture. Ils déchirèrent une chose molle qui se coupait facilement avec les griffes et les dents. Vite, repérer d’où venait le manger. Shana aussi passa par l’ouverture et rentra dans l’espèce de rocher creux. Ce qui l’attirait, elle, c’était l’odeur qui imprégnait un machin bizarre. Ça sentait fort. Shana, se jeta sur sa cible, mais s’il l’odeur était présente, il n’y avait pas le goût. Dépitée, elle s’acharna sur tout ce qui sentait. Quand elle eut passé sa rage, elle se retourna et ordonna à ses troupes d’emporter tout ce qui reniflait la nourriture. Elle garda, comme un trophée, un bout de matière molle, au goût détestable, mais qui sentait si bon. D’un simple glapissement de sa part, toute la meute, prit le chemin du retour.

Max était perché sur son rocher, appareil photo prêt à mitrailler. Il se demanda pour la énième fois s’il s’agissait bien là, de l’antre d’un Thylacine. Si oui, ça serait bien que l’animal rentre avant la nuit. Il avait paramétré son appareil en mode de mise au point manuelle. L’utilisation de l’autofocus n’était pas envisageable. Celui-ci, dès que la pénombre s’accentuait, émettait une petite lumière pour aider à la mise au point. Cet éclat ferait fuir n’importe quel animal avant de pouvoir appuyer sur le déclencheur.

Persuadé d’être bien camouflé, Max reprit son attente. Soudain, il perçut une agitation dans les fourrés. Une sorte de chien, pareil à un bon gros bâtard bien roux, puis un autre, jaillirent des buissons pour se diriger vers la grotte. Ce n’était pas ce genre de clebs que Max attendait. Mais la déception fit vite place à l’angoisse puis à la peur. Près d’une vingtaine de ces chiens sauvages défilèrent devant lui. Pire encore, certains tenaient dans leurs gueules ses propres sacs de provisions ; la troupe avait pillé son 4X4. D’autres se pointaient avec ses carcasses de lapins, la glacière non plus n’avait pas résisté à l’assaut des bestioles. Max s’était quand même un peu renseigné sur la faune australienne. Ces animaux-là ressemblaient à des Dingos. Mais Max était quasiment sûr que les chiens sauvages ne faisaient pas partie des créatures de Tasmanie. Que venaient-t-ils faire ici ? En tout cas, il valait mieux pour lui que sa cachette soit bonne, car il ne ferait pas le poids face à une telle meute. Pourquoi, n’avait-il pas pris son fusil ? Malgré lui son corps se mit à trembler. A tel point que les branchages dont il s’était couvert, commencèrent à glisser, le dénudant, petit à petit, de sa maigre protection. A la fin de la meute, un dingo tout blanc, avec une oreille en moins, s’arrêta à quelques mètres de l’entrée. L’animal tenait dans sa gueule un morceau de mousse que Max mit un peu de temps à reconnaître. C’était un morceau de son siège de voiture. La bête toute blanche, huma l’air.

Shana sent, Shana sait. L’odeur. Juste avant de s’engouffrer dans la caverne, une délicieuse effluve lui avait chatouillé la truffe. Était-ce un signe que la bonne viande n’était pas loin ou était-ce cet immangeable morceau de mousse, qu’elle tenait serré dans sa puissante mâchoire, qui lui jouait un tour. Shana avait faim. Elle devait vite pénétrer dans la grotte pour montrer aux autres que c’était elle qui commencerait le festin. Elle décida de rentrer.

Max n’avait pas bougé un cil. Il n’avait même pas envisagé de prendre une photo, de peur

que le bruit de l’appareil ne donne l’alerte. Quand la chienne blanche s’était arrêtée, son cœur à lui avait failli s’arrêter aussi. Seul but maintenant, retrouver son camp, en faisant le plus grand détour possible pour ne pas passer devant l’ouverture de l’antre. Grâce au GPS, il put regagner sa base assez facilement. Mais c’était un Max aux aguets qui arpentait désormais la nature. Il lui avait fallu bien du temps avant de comprendre que son projet de rester dix jours au plus profond de la nature sans aide, ni ravitaillement, était complètement idiot. Pour qui s’était-il pris ? Lorsqu’il retrouva sa voiture, il put constater les dégâts. Tout ce qui contenait de la nourriture avait été emporté, et l’intérieur du 4X4 saccagé. Principalement le siège conducteur. Les câbles pour recharger son GPS et son téléphone avaient été mâchés. Celui du téléphone était complétement HS, mais il put réparer le chargeur du GPS en entortillant les fils. Cela lui procura un énorme soulagement de penser qu’il ne serait pas être totalement perdu. Les jerricans de diesel et d’eau n’avaient pas attiré l’attention des dingos. Le fusil non plus. Il s’en sortait bien en fin de compte, excepté la nourriture qui avait disparu. Une fois le bazar rangé, son corps se mit à trembler légèrement. Puis de plus en plus fort. L’adrénaline était redescendue et maintenant il prenait pleinement conscience qu’il avait bien failli se faire dévorer vivant. Mourir était une chose acceptable pour lui. Mais pas comme ça. Pas avec cette souffrance. Lâche ? Peut-être. Pris de convulsions complètement ingérables, il s’enferma dans le 4X4 et voulut s’asseoir au volant, le temps de se ressaisir. Mais le siège tout entier et l’appuie-tête ayant été dévastés, il ne restait plus que l’armature métallique du fauteuil et un squelette de fer comme appuie-tête. Il prit le fusil, et se jura de ne plus s’en séparer, même pour aller pisser. Max se posa donc sur le siège arrière du véhicule et sombra, les mains crispées autour de la crosse de l’arme, dans un état second où la peur, la vraie, vient prendre les commandes et fait de nous d’inutiles masses corporelles soumises aux tremblements et aux délires. Les questions se multiplièrent mais pas leurs réponses. Qu’était-il venu faire ici, sur cette île maudite ? Le Tigre de Tasmanie, Loup de Tasmanie ou encore Thylacine, peu importe le nom qu’on lui donne, cet animal n’existait plus. Il s’imagina, rentrer bredouille, subissant les regards, celui déçu de Sacha, et celui dépité et rancunier de sa femme. Il eut également la vision de son corps, dévoré vivant par une meute de clébards déchainés. Puis, lui vint l’image plus douce à ses yeux d’un canon de fusil posé sous le menton.

Shana sent, Shana sait. Après avoir déchiqueté les sacs et mangé tout ce qui était comestible, ses troupes avaient entamé leur nuit de sommeil. Pas Shana. L’odeur la rendait folle. Ce n’était pas le morceau de mousse, ce n’était pas les sacs éparpillés. L’odeur venait de la grotte elle-même. Il était venu ici. Ses pas avaient foulé le sol de son propre repaire. Elle sortit de son antre et huma l’air une nouvelle fois. Pas de doute. Son flair l’amena vers un rocher en hauteur. Shana avait retrouvé sa piste. Un hurlement, un seul, et sa meute la rejoignit en un instant. La chasse n’était pas finie.

Max, poussé par un indéfinissable sentiment d’urgence, sortit de sa transe. Il se réveilla sur la banquette arrière de sa voiture, en position fœtale. Le cœur de la nuit battait son plein, à l’unisson avec le sien. Il plaça quelques linges sur le siège conducteur, pour le rendre le plus confortable possible, il lança le moteur et amorça la manœuvre de demi-tour. Max avait choisi de passer à la seconde partie de sa folle équipée, le nord-est de l’île. Pas mal de témoignages avaient signalé la présence de Thylacine dans ces parages et surtout, il serait loin de cette bande de dingos affamés. Avant de rejoindre l’axe principal, il avait trois ou quatre kilomètres de pistes chaotiques à avaler. Il faisait nuit noire mais Max avait le sentiment de devoir partir vite, très vite de cet endroit.

En un quart d’heure, il avait à peine roulé deux kilomètres. Le parcours déjà critique à pratiquer de jour, devenait franchement compliqué de nuit. Ses phares perçaient tant bien que mal l’obscurité mais le relief du terrain créait des zones d’ombres, Max ne voyait les obstacles que quelques mètres avant de les percuter. Par deux fois déjà, il avait heurté des rochers, et, après une petite marche arrière, était reparti de l’avant. Il pensait rejoindre bientôt la route quand un glapissement se fit entendre dans son dos. La meute de dingos fondait sur lui à une vitesse ahurissante. Il se retourna pour mieux estimer la situation. Les lumières rouges de sa voiture faisaient ressortir les yeux des chiens sauvages, lancés à sa poursuite. Max pouvait clairement les voir à travers la bâche arrière presque totalement déchirée. Il appuya sur l’accélérateur et le véhicule répondit à sa demande. Il risquait l’accident à chaque tour de roue. Encore un coup d’œil derrière, un des chiens sauvages l’avait presque rattrapé. Mais à quelle vitesse pouvaient courir ces bêtes-là ? Il tenta de mettre un peu plus les gaz, mais il parvint de justesse à éviter un trou que même le 4X4 aurait eu beaucoup de mal à franchir. Son poursuivant, apparemment le plus rapide de la meute, continuait de gagner du terrain. Deux bosquets, de part et d’autre de la piste, obligèrent Max à lever un peu le pied. Cette « chicane » naturelle lui avait coûté de précieux mètres. Quand il put reprendre de la vitesse, il était trop tard. Le dingo avait réussi à sauter à l’arrière de la voiture.

Shana avait vu. Utar, le plus rapide d’entre eux avait rattrapé la viande, qui tentait de fuir dans son rocher carré. Utar ne lui laisserait aucune chance, elle le savait. La salive coulait déjà le long des babines de Shana. L’odeur se rapprochait….

Le dingo se jeta droit sur Max. Et ce fut sûrement là son erreur. Le conducteur l’ayant vu venir s’était presque couché sur son côté gauche, et ce faisant, avec involontairement donné un léger coup de freins. La gueule du chien était alors venue se coincer dans le cadre en métal, vestige de l’appuie-tête. Agissant plus par réflexe que par bravoure, Max se redressa aussitôt et bloqua le museau de l’animal ainsi pris au piège, avec le dessus de son épaule droite. La bête tirait vers l’arrière pour se dégager, Max poussait vers le haut pour l’en empêcher. Conduire dans ces conditions devenait quasiment impossible. La piste se dégageait et la route n’était plus très loin. Le chauffeur continuait à pousser de toutes ses forces vers le haut, mais le dingo, centimètre par centimètre se rapprochait de la délivrance. Dans un dernier effort, Max écrasa la gueule de la bête, un horrible craquement se fit entendre, juste à côté de son oreille. L’os du museau céda d’un coup et le dingo foudroyé par une douleur, telle qu’il n’en avait jamais connu, capitula. Max relâcha son étreinte et la bête recula en couinant jusqu’à retomber de la voiture. Le 4X4 avait enfin rejoint la route et s’éloignait maintenant beaucoup trop vite pour la meute de chiens sauvages.

Shana qui avait ralenti l’allure en voyant filer l’odeur, se retrouva devant Utar, hurlant de douleur. Une blessure comme celle-là, il ne s’en remettrait pas. Shana savait ça. Utar ne servirait plus à rien dans le clan. Ça aussi Shana le savait. Le chien, privé de sa bouche, ne put se défendre quand Shana, ivre de rage d’avoir raté sa proie, se défoula sur lui. Une fois Utar égorgé, elle voulut remettre ses troupes en ordre de marche. Shana voulait suivre cette piste. Elle voulait encore goûter cette viande. Certains de ses congénères étaient réticents à l’idée de quitter ainsi leur territoire. Shana savait ça. Elle fit le tour de sa meute en retroussant ses babines, laissant ainsi apparaître ses dents, encore pleines du sang d’Utar. Mêmes les plus forts de la meute baissèrent la tête devant Shana. Shana décidait. La traque n’était pas finie.

Jour 4

L’aube pointait et le soleil donnait au ciel des couleurs somptueuses. Max se dirigeait droit vers l’astre. Son corps ne tremblait plus. S’était-il endurci aussi vite ? Sa victoire sur la meute de chiens l’avait tellement surpris, qu’il en était venu à se demander si, finalement, il n’était pas en train d’apprendre à dompter la vie sauvage. « Après seulement quatre jours ? Redescends sur terre Max ! » Sûrement la décharge d’adrénaline. En tout cas, aujourd’hui, il reprendrait sa traque au Thylacine, mais cette fois, il n’irait pas la fleur au fusil, comme un touriste. Mais comme un chasseur, un traqueur. Il n’avait plus de provisions mais il détenait encore des vivres dans le sac qu’il portait sur lui la veille. Certes, ce n’était pas grand-chose, mais il possédait encore toute sa réserve d’eau. Il aurait faim dans les jours à venir. Cependant, il savait qu’il pouvait tenir un moment grâce à l’eau. Il se prépara des rations avec la nourriture qui lui restait et ne désespérait pas d’attraper du petit gibier. Au moins, il savait fabriquer un collet.

Il atteignit son but dans l’après-midi. Beaucoup de signalements d’un Tigre de Tasmanie dans cette région aux nombreux petits lacs. Max quitta la route pour s’enfoncer le plus loin possible dans la flore sauvage. Cette fois il prit soin de faire demi-tour avant de s’arrêter. S’il devait de nouveau fuir, la voiture serait dans le bon sens. Et surtout plus de piste chaotique cette fois. Il repéra quelques trouées dans les fourrés et décida d’y installer ses collets. Le GPS s’était bien rechargé durant le voyage. De l’eau, une ration de nourriture, le Nikon, son fusil, des balles, il repartait à l’aventure.  S’inspirant d’un film ou d’une émission qu’il avait dû voir des lustres avant son aventure, il se recouvrit les bras et le visage de boue, pour éviter de dégager une odeur trop forte. Pourquoi, n’y avait-il pas songé plus tôt ? Parce que plus tôt, il avait pris son périple par-dessus la jambe mais que dorénavant, il n’était plus question de jouer les vacanciers.

Il cherchait des empreintes, se cachait et scrutait les alentours avec son téléobjectif. Puis se déplaçait à nouveau aussi furtivement que possible. Les points d’eau, ça c’était bon. N’importe quel animal avait besoin d’eau, Thylacine compris. Alors que le jour commençait à baisser, il aperçut des traces, et cette fois ce n’était pas des empreintes de dingos ! Les traces allaient et venaient dans les deux sens, au bord d’un petit lac. Un étang plutôt. L’eau était marron et pas mal de plantes aquatiques constellaient la nappe. Max se chercha un bon point de vue. Il en trouva un, à plat ventre sous des buissons. Seul son téléobjectif dépassait. L’attente commença. Quelques heures plus tard, l’obscurité était totale. Il était temps de rentrer à sa base. Il nota la position sur son GPS et se promit de revenir le lendemain.

A son retour, il eut la bonne surprise de trouver un lièvre pris dans l’un de ses collets. Un bon dîner en perspective. Il était cuisinier tout de même ! Le sel avait disparu dans l’attaque des d’infos, malgré cela son repas du soir fut des plus agréables. Seul dans la nature, dégustant un délicieux lièvre rôti et un objectif pour le lendemain, car ces empreintes, il le sentait, étaient les bonnes. Ce n’était pas si mal après tout.

Jour 5

Max se leva en même temps que le soleil. Pas d’attaque d’animaux sauvages, si ce n’était un harcèlement en règle de moustiques. La proximité des lacs avait tout de même un mauvais côté. Il s’était fait dévorer toute la nuit par ces insupportables insectes. S’il avait eu un peu plus de jugeote avant son départ, il aurait pensé à prendre des crèmes répulsives.

Il replaça ses collets et repartit pour l’étang découvert la veille. En chemin, il croisa quelques animaux étranges dont il prit des photos. Une sorte d’ornithorynque et une petite bestiole bizarre, un échidné à bec long, s’étaient enfuis à chaque tentative d’approche de sa part. Il n’avait que des photos réalisées d’assez loin. S’il voulait toucher son chèque, Max savait qu’il lui faudrait bien mieux que des prises de vues lointaines et floues. Abattre un Thylacine et le ramener aurait-été une vraie preuve mais cela était aussi parfaitement idiot. Étant donné qu’il s’agissait d’une espèce sensée être éteinte, en tuer un serait irresponsable. De plus, toutes les associations de défense des animaux le traîneraient en justice pour un tel acte, et son million de dollars ne suffirait même pas à couvrir les amendes qu’il recevrait. Donc pas de massacre inutile. Des photos, et des bonnes.

Il devait se trouver, aux dires de son GPS, à trois cents mètres de l’endroit qu’il avait surveillé la veille. Accroupi derrière un arbuste, Max scrutait le périmètre pour s’assurer de n’effrayer aucune bête, bref, il faisait en sorte d’arriver le plus discrètement possible dans son abri près de l’étang. Il allait s’avancer quand il perçut un mouvement furtif sur sa droite. Quelque chose était tapi dans l’ombre des fourrés. Max s’immobilisa et reprit lentement sa place, bien caché. Le moment qui allait suivre devait être l’un des plus magiques de sa vie.

Partie 4 : Rencontre

Tout d’abord, il aperçut un museau très long sortir des buissons presque au niveau du sol. Puis tout doucement, l’animal se dirigea vers l’étang. Les rayures sur son dos ne laissaient aucun doute possible. Max avait sous les yeux un Thylacine. Il zooma au maximum, obtint un cadrage presque parfait et déclencha son appareil photo. Le bruit, aussi léger qu’il fut, dérangea l’animal qui remua une oreille. De peur que le Tigre de Tasmanie ne s’enfuie, Max passa en mode vidéo, plus silencieux que le mode photo. Il filma la bête pendant plusieurs secondes. L’animal avait décidé qu’il ne courait aucun danger et continua de se désaltérer. Max n’en perdait pas une miette. Soudain, Le Thylacine se coucha sur le côté et une petite créature sortit de la poche ventrale de la mère. Le jeune marsupial semblait aussi apeuré que curieux du monde qui l’entourait. Il s’approcha de l’étang et se mit à boire. Il devait être en fin de sevrage. Max reconnut aussi l’un des signes bien distinctif du Thylacine, la poche ventrale s’ouvrait vers l’arrière, à l’inverse des autres marsupiaux. La bête resta là quelques minutes. Max avait un film HD de l’animal et une superbe photo. Il décida de ne pas en rester là. Tout doucement, il sortit de sa cachette. De nouveau en mode photo, il tenta de s’approcher de l’animal à pas de loup. Malgré la boue qui recouvrait sa peau, Max se fit aussitôt repérer. Le petit reprit vite sa place dans le giron maternel et la bête se tourna face à ce qu’elle considérait pour une menace, pour elle, mais surtout pour sa progéniture. Ils restèrent plantés là, face à face, séparés par une vingtaine de mètres seulement. Max, tout doucement, plaça le Nikon contre son œil et, en mode rafale, pressa le déclencheur sans s’interrompre. Les photos, au rythme de plusieurs par secondes, s’enchaînèrent. La bête, effrayée par le bruit occasionné et la vue de l’homme, fit marche arrière. Craignant pour son petit, la mère, prit une attitude plus défensive, sur ses appuis, prête à bondir au besoin. Max tenta de l’apaiser de la voix et par des mouvements tout en douceur. Il lui jeta un peu de nourriture mais son geste fit reculer l’animal. Cependant, Max s’aperçut que la truffe du Thylacine avait bien repéré l’odeur de l’appât. Il céda à son tour quelques mètres de terrain, puis s’accroupit. L’animal, semblait avoir faim. Après quelques minutes à jauger son opposant, la créature s’avança prudemment et renifla, puis finit par avaler le morceau de lièvre rôti la veille au soir. Une barrière venait de tomber. Max reprit prudemment son avance. Avec son appareil, il continuait de mitrailler l’animal, qui ne faisait plus attention au bruit du Nikon. Max possédais maintenant une superbe vidéo HD, ainsi que des dizaines de clichés en onze mégapixels de résolution. Mais il ne comptait pas s’arrêter là. Il voulait toucher le Thylacine.

A chaque pas qu’il faisait en avant, la bête en faisait un en arrière. Il choisit de se poser, en tailleur, et de semer des petits morceaux de lièvre devant lui. Curieux, l’animal s’assit, huma l’air, et cette bonne odeur qui était à portée de mains, ou plutôt de pattes. Max se rappelait avoir entendu dire qu’il ne fallait jamais sourire à un loup. Montrer les dents était perçu comme une menace. Peut-être en allait-il de même chez le Thylacine. On l’appelait « Loup » après tout. C’est donc la bouche fermée, que Max essaya de faire s’approcher l’animal. Après un grand moment, la femelle se leva et, tout en gardant un œil sur lui, progressa vers la viande. Quelques longues minutes s’écoulèrent encore et la bête n’était plus qu’à deux mètres de lui. Des gros plans complets du Tigre de Tasmanie, max en avait tellement qu’il posa son appareil en mode vidéo sur le côté, version selfie en plan large. Il osa tendre la main vers le Loup, celui-ci recula aussitôt de plusieurs pas. Max arrêta son geste sans retirer la main pour autant. Le Tigre, rassuré, se remit à avancer vers lui. Pour attraper le dernier morceau de lièvre, il devait venir à portée de la main de l’homme. Plus que quelques centimètres et Max toucherait le célèbre Thylacine, race sensée être éteinte depuis plusieurs décennies, maintes et maintes fois recherchée. Lui, le restaurateur, citadin, dépressif, suicidaire, accessoirement totalement irresponsable, lui, Maxime Roussel, surendetté au possible, allait apporter au monde entier la preuve que les Tigres de Tasmanie étaient toujours de ce monde, et cerise sur le gâteau : ils se reproduisaient !

Max, était tellement excité que sa main se mit à trembler. L’animal apeuré, fondit sur le morceau de lièvre et retira sa tête en un éclair. Max serra les doigts par réflexe. Il regarda s’enfuir le thylacine, jeune mère protégeant son petit, et bien plus effrayée que lui. Il resta un long moment assis en tailleur, près de l’étang. En redescendant des nuages, il regarda sa main serrée. Il l’avait touché au flanc alors qu’il faisait demi-tour. En ouvrant les doigts, il découvrit plusieurs poils, qu’il rangea bien à l’abri dans son paquet de mouchoirs.

Il avait gagné. En cinq jours…. Et probablement beaucoup de chance.

Shana sent, Shana sait. Ils touchaient au but. L’odeur lui flatta les narines et elle accéléra encore un peu plus. Six-cents mètres plus loin, l’odeur quittait la route pour s’enfoncer dans la forêt. Très bien. Il ne lui fallut pas longtemps pour retrouver le rocher creux qui sentait bon. La viande n’était pas là. Son attention fut attirée par de petits couinements dans les buissons. Shana découvrit un lièvre retenu par quelque chose de long et mince. Shana en fit son hors d’œuvre. Mais elle n’était pas venu pour si peu. Oh non… Et cette fois l’odeur ne lui échapperait pas.

Max rentrait à son camp, comblé par une telle rencontre, il était encore sur un petit nuage. Les instants qu’il venait de vivre avaient été féeriques. Il avait jeté un œil aux photos et aux vidéos prises, tout simplement superbes ! Si avec ça il n’empochait pas le pactole, c’était à n’y rien comprendre. Alors qu’il n’était plus qu’à quelques centaines de mètres de son véhicule, Max stoppa, les sens en alerte. Le vent, qui lui faisait face, lui renvoyait quelques sons. Il aurait juré avoir entendu comme un petit cri de ces saloperies de dingos. Pourtant cela semblait impossible, il les avait semés l’avant-veille, et avait ensuite roulé durant des heures. Une autre meute alors ? Cette fois Max prit soin de bien rester face au vent. Il rampa sur une butte pour évaluer la situation. Ses oreilles lui avaient peut-être simplement joué un tour.

Malheureusement, il y avait bien une meute de chiens sauvages autour de son 4X4. Impossible de savoir s’il s’agissait des mêmes. Du moins jusqu’à ce qu’il aperçoive un dingo entièrement blanc, avec une oreille en moins. « Ces satanés clébards m’ont suivi jusqu’ici ! » Maintenant qu’il avait trouvé ce qu’il était venu chercher, il était hors de question de se faire bouffer par une meute de chiens, aussi tenace soit-elle. Max chercha un plan d’action. Il fit marche arrière doucement .

Partie 5 : Duel au Soleil.

Shana sent, Shana sait. L’odeur n’était pas loin. Elle était faible, sûrement à cause du vent. Donc sa proie avait choisi de la jouer fine. Aucun problème, Shana était une chasseuse hors pair. Si l’odeur se servait du vent, il devenait simple de la localiser. Shana fit volte-face et aperçut juste à temps un reflet de soleil sur du métal. Sa vue perçante, lui permit de remarquer que l’objet que tenait l’odeur était dangereux. C’était le même objet qui avait arraché l’oreille de Shana. D’un bond elle se jeta à l’abri derrière le rocher creux. Au même moment, un grand bruit sec se fit entendre et de la terre éclata juste à côté d’elle. La meute se mit à paniquer, surprise par ce bruit si fort. Shana ne paniquait pas, Shana ne paniquait jamais. Elle venait de repérer la trace de l’odeur, à droite de la butte. D’un glapissement, elle remit sa meute en marche et tous les dingos se ruèrent dans la direction indiquée par Shana. L’odeur était forte. Shana talonnait un chien de sa troupe et ils allaient fondre sur l’odeur dans quelques secondes, elle le sentait. La tête du dingo qui la précédait explosa soudainement. Shana sauta par-dessus le corps sans vie de son comparse et se jeta sur sa proie qu’elle attrapa à pleine dent. Ses crocs ne s’étaient pas plantés dans la chair tant désirée mais sur quelque chose de mou qui sentait très fort la bonne odeur. Shana s’était faite bernée. Elle déchiqueta le morceau d’étoffe et renifla en l’air pour savoir où se trouvait réellement sa proie. Un autre bruit très fort, comme celui qui avait arraché la tête du premier dingo retentit. Shana se tapit derrière un fourré, et constata qu’un autre membre de sa troupe gisait inanimé sur le sol, répandant une très forte odeur très forte de sang. Mais Shana avait compris d’où venait le bruit. D’un cri, elle rameuta une partie de ses troupes, les autres acolytes, effrayés, avaient fui. Les dingos restants s’élancèrent vers la source du bruit. Plus question de foncer tête baissée. Shana ordonna de se mettre en chasse. On entoure la proie et on l’attaque à plusieurs. Shana avait vu la viande. Dissimulée derrière un rocher, elle avait peur, Shana sentait. La proie avait dû penser que, en se servant du bruit qui fait mal, Shana fuirait comme les autres. L’odeur avait eu partiellemen raison, mais c’était sans compter sur l’obsession de Shana. La viande était encore loin, mais Shana savait que son espèce courrait plus vite. Encore un bruit fort et un nouveau membre de la troupe glapit, la cuisse à moitié arrachée. L’odeur du sang versé avait démultiplié sa rage. Devant la progression des dingos, la proie commençait à battre en retraite, elle leur tourna le dos et courut. Shana pouvait lancer l’assaut final.

La viande sentait maintenant la peur à plein nez. Elle avait beau courir de toutes ses forces, jamais elle ne distancerait Shana et le reste de sa meute. La proie arrivait devant un ruisseau, tenant plus d’un petit marécage. La viande sauta dedans sans réfléchir et, barbotant le plus vite possible, atteignit l’autre rive. La troupe de Shana n’était plus qu’à quelques mètres.

Max n’avait pas imaginé une seconde, qu’après autant de coups de feu et de chiens abattus, la meute continuerait de le traquer. Il avait espéré qu’au premier tir, ils déguerpiraient sans demander leur reste. Le leurre, qu’il avait placé avait fonctionné à merveille. Le leurre, plus précisément, son caleçon de deux jours, avait attiré les chiens du mauvais côté, et les avaient placé dans une superbe fenêtre de tir. Mais le dingo blanc était tenace, Max n’en doutait plus, c’était lui le chef, s’il fallait n’en tuer qu’un, ça devait être celui-ci. Après son shoot réussi en pleine tête sur le cabot qui se jetait sur son caleçon, il pensait vraiment que la meute aurait battu en retraite, mais il n’en n’était rien. Devant l’opiniâtreté des chiens sauvages, il avait pris ses jambes à son cou. Tout en courant, il tenta de recharger son fusil. Cela lui valut de perdre une balle. Max retenta le coup à l’approche du cours d’eau, cette fois il put loger la balle dans son emplacement. Un coup d’œil vers l’arrière l’informa qu’il avait très peu de chance de s’en sortir, avec ou sans arme. Lorsqu’il regarda à nouveau devant lui, l’eau n’était plus qu’à deux ou trois pas, plus le temps d’élaborer une stratégie fine. Il sauta le plus loin possible, espérant ne pas s’embourber dans la vase. La peur donne des ailes, c’est bien connu. Mais dans le cas de Max on n’était plus proche du sens propre que du figuré. Il avait bien dû franchir les quatre mètres lors de son saut. Il se retrouva à un peu plus de trois mètres de la rive opposée, de l’eau jusqu’aux épaules. Les dingos nageaient-ils ? « Ben oui c’est comme les chiens », Max nageait des bras et courait des jambes. Il crut percevoir un mouvement sur sa gauche, qu’importe, l’essentiel pour lui était d’arriver rapidement sur la berge, de se retourner et d’allumer en pleine tronche le plus près de ces salopards de clébs. Sa peur, mêlée à l’adrénaline, c’était surtout de la rage qu’il ressentait à présent. Sa main agrippa une touffe d’herbe épaisse et il se hissa sur la rive. Max attrapa son fusil, qu’il avait mis en bandoulière et se retourna prêt à faire feu. Il eut juste le temps de voir le dingo se ramasser sur lui-même pour sauter à son tour et s’élancer. A peine le chien retomba-t-il dans l’eau, qu’une énorme gueule le saisit.

Shana s’arrêta en glissade. Son compagnon de chasse venait de se faire attraper par un « Grandes-Dents ». Cette saleté de viande avait eu sacrément de la chance. Elle avait attiré

l’attention des Grandes-Dents et c’était un membre de sa meute qui avait été croqué. Le gros lézard était encore en train d’achever sa proie que déjà, Shana en repéra d’autres, attirés par l’odeur du sang. La bonne viande la regardait droit dans les yeux, le bâton qui fait mal droit vers elle. Hors de question de traverser le ruisseau ici. Et hors de question de subir le bruit qui tue… ou qui arrache une oreille. Mais Shana trouverait un autre passage pour traverser. Shana sent. Shana sait. Et en plus Shana commençait à avoir faim.

Max n’en revenait pas. Il se traîna sur les fesses avant de se relever en vitesse. Le crocodile n’avait pas laissé la moindre chance au chien. Et beaucoup d’autres troncs d’arbres flottant se dirigeaient vers lui. Dans un dernier coup d’œil vers la meute Max vit la glissade du chien blanc, surpris, lui aussi par l’attaque éclair du reptile géant. Max sentait bien qu’il n’aurait pas beaucoup d’autres chances comme celle-là pour en finir avec ce Diable blanc. Il arma son fusil et visa le dingo encore immobile. Leurs regards ne se croisèrent qu’un bref instant, mais ces secondes-là valent des heures. Max pût lire dans les yeux de Shana, toute sa détermination et sa rage. La chienne, elle, lisait toute la volonté de survivre, coûte que coûte de l’homme… qui appuya sur la détente. “Clic”. Il fallut quelques instants à Max pour comprendre ce qui venait de se passer : Le fusil et les balles avaient pris l’eau. Pendant une fraction de seconde, il revit les scènes de films de guerre dans lesquels les soldats couraient dans l’eau les bras en l’air, pour mettre leurs armes à l’abri. Quel con ! Mais tout était allé si vite. Les chiens sauvages ne l’avaient pas attendu et s’étaient réfugiés dans les buissons. Max s’écarta de la berge où le nombre de crocodiles ne cessait de croître. Certains essayaient de voler un bout du chien déjà en miette. Une fois à l’abri des gros reptiles, il consulta son GPS. Pour ne pas s’éloigner de sa voiture, et garder une chance de traverser sans trop de dommages, il valait mieux suivre le courant du ruisseau. Apparemment, il rejoignait un petit lac, que Max pourrait contourner pour éviter les crocos. Ensuite, il devrait remonter le ruisseau pour retrouver sa voiture. Mais aussi certainement ces fichus clébards. Combien de temps mettrait la poudre pour sécher ? Aucune idée. Il n’était même pas sûr que les dégâts soient réversibles. Il songea soudainement à son appareil photo. L’appareil avait bien pris l’eau mais s’allumait encore, dans son compartiment, la carte SD avait été préservée. Il l’ôta du Nikon et la mit en sureté dans un emballage plastique, rangée à côté des poils de Thylacine, le tout placé dans une poche de son gilet type « safari » à fermeture éclair. Max trouva une petite saillie rocheuse où il fit une pause et étala ses cartouches au soleil dans l’espoir de les faire sécher. Il grignota une part de sa ration. De là, il pouvait voir l’autre rive du cours d’eau. Les dingos étaient là, il le savait. Il refit le point avec son GPS, le lac n’était plus très loin. S’il ne rencontrait pas de problème, il pourrait arriver à sa voiture avant la nuit. Mais la meute de crève-la-faim tenterait sûrement, une fois encore, de le dévorer. Ils avaient jeté leur dévolu sur lui, et ne renonceraient pas avant de l’avoir dégusté jusqu’à l’os. Max tenait plus d’un millions de dollars dans la poche, mais il était incapable de savoir s’il serait encore en vie dans l’heure suivante. La frustration était énorme. Il repensa à Annie et à la fierté qu’éprouverait Sasha en voyant revenir son père, victorieux dans sa traque, là où des centaines d’autres avaient échoué. Cela lui remit du baume au cœur et Max reprit sa marche bien décidé à ne pas se laisser faire.

Shana sent. Shana sait. Elle n’avait presque pas quitté la viande des yeux depuis qu’elle s’était jetée dans les fourrés. L’Odeur était restée assise longtemps sur un rocher. Elle aussi savait que Shana était là. Il ne restait pas beaucoup de membres dans sa meute. La plupart avaient eu peur de se retrouver en dehors de leur territoire. Et le bâton qui fait mal avait fini de chasser les plus trouillards. Il ne devait rester que six ou sept compagnons pour aider Shana. Cela suffirait. Quand la proie s’était remise en marche, Shana avait fait de même. Shana non plus ne connaissait pas cette zone. Mais Shana avait un avantage sur lui. Son instinct animal et ses sens aiguisés. Elle savait quelque chose que la viande ignorait. Le piège se refermait doucement…

Max continuait de crapahuter. Il ne tarderait pas à trouver le lac. Resterait à en faire le tour et remonter jusqu’à la voiture… en évitant les mauvaises rencontres. Gonflé à bloc, il accéléra le pas. Fixé sur ce lac, qu’il ne voyait toujours pas, et se tenant à une distance respectueuse du ruisseau et de ses habitants pour le moins effrayants, il ne remarqua pas sur sa gauche les petits clapotis en surface, signe qu’il pouvait traverser à gué. Il ne remarqua pas non plus que le courant s’accélérait. Quelques minutes plus tard, il perçut un bruit sourd. Tout d’un coup, il comprit. Une chute d’eau. Il courut jusqu’à un promontoire et trouva le lac… Au moins quatre-vingts mètres plus bas. La falaise était abrupte. Son GPS ne donnait ses indications qu’en deux dimensions. Max se retourna soudainement, il savait maintenant pourquoi les dingos n’étaient pas encore intervenu. Eux avaient compris qu’il s’était engagé dans une impasse.

Shana sait. Sa troupe avait traversé le ruisseau sans encombre là où l’eau ne faisait que rouler sur des petits cailloux. L’Odeur n’avait plus d’échappatoire. La proie était acculée. La meute se mit en formation d’attaque. Shana au centre, trois des sbires de chaque côté. La formation s’espaçait afin de ne laisser aucune chance à la viande. Quand celle-ci se retourna, Shana sentit sa peur et son désarroi. Dans quelques minutes, Shana pourrait enfin se repaître de cette viande si goûteuse.

Ce que vit Max en faisant volte-face, lui glaça le sang. Les dingos étaient bien là. Ils avançaient en ligne, le grand chien blanc au centre. Il braqua son fusil sur lui. Bien qu’athée, Max pria tous les dieux possibles et imaginables…. Et pressa la gâchette. Encore une fois le coup fit long feu. Mais pourquoi avait-on supprimé les baïonnettes sur les fusils ? Max recula d’un pas, par réflexe, mais se rendit vite compte que seuls quelques centimètres le séparaient du vide. Les chiens sauvages s’avançaient lentement mais sûrement. En approchant, la formation prit une forme de V, le grand blanc en pointe à l’avant. De toutes évidences c’était lui qui attaquerait le premier, Max était SA proie. Putain de dingos. Entre se faire dévorer ou sauter dans le vide, Max avait fait son choix. Mais quitte à faire le grand plongeon, il emporterait avec lui cette saleté de clébard têtu et assoiffé de sang humain.

Shana ralentit l’allure. Elle avait senti le changement. La peur avait fait place à de la rage chez sa proie. Celle-ci ne se rendrait pas sans lutter. Très bien. Elle l’égorgerait elle-même. Shana aussi avait la rage qui brillait dans ses yeux. Elle reprit sa marche en avant, se tenant prête à bondir à la moindre occasion… ou si le bâton qui fait mal devait se retrouver dirigé vers elle. Son regard ancré dans celui de sa cible. Shana ne voyait plus rien d’autre. Et Shana ne se rendit pas compte que ses troupes avaient amorcé un recul.

Max aussi fixait le regard du grand chien blanc à l’oreille manquante. Lui non plus ne remarqua pas la terreur s’installer chez les autres dingos. Ce maudit clébard lui sauterait sûrement à la gorge. Il devait se tenir prêt. Il ancra ses appuis au sol et banda tous les muscles de son corps. Paré pour le dernier combat de sa vie. Quel dommage que son périple se termine ainsi alors qu’il avait autant d’argent dans la poche. L’ironie de la situation ne lui échappait pas mais pour l’instant, toute sa vigilance était concentrée vers le chef de meute. Max ignora le grondement sourd qui s’amplifiait derrière lui. Le bruit de la chute d’eau.

Shana continuait de s’approcher. Plus que quelques pas et elle pourrait passer à l’attaque. L’Odeur lui remplissait le nez, elle en salivait d’avance. La proie était calme, prête à se défendre. Encore un pas. Tel un ressort, Shana sauta et visa directement la gorge. La viande posa un genou au sol en même temps et lui attrapa le cou et une patte. La main sur son cou et le bras tendu empêchaient Shana de mordre. Elle parvint à libérer sa patte et laboura le corps de sa proie de ses griffes. La main qui avait lâché la patte, vint aider l’autre à lui saisir le cou. Shana, surprise par un tel déploiement d’énergie de l’Odeur, ne comprit pas pourquoi ses troupes ne venaient pas l’aider. Shana était seule. Poussant de toutes ses forces, Shana réussit à mettre sa victime sur le dos, la tête dans le vide. La force des bras faiblissait. Shana rapprochait ses dents de la gorge de sa proie. Elle prenait des coups de genou dans les flancs mais la viande fatiguait, Shana sent, Shana sait. Elle allait gagner.

Max s’était ainsi retrouvé sur le dos, avec la furie blanche, tous crocs dehors, qui tentait de l’égorger. Pour le moment, il tenait bon mais la force de l’animal était prodigieuse. Tout en balançant ses genoux dans les côtes du chien, il se rapprochait, en poussant sur les jambes, du bord de la falaise. Il essaya d’enfoncer ses doigts dans la trachée du dingo mais ceci ne semblait pas arrêter le chien. Max savait que la fin était arrivée. Tomber plutôt que finir dévoré. Dans un dernier effort, il surprit l’animal en lâchant prise et en l’enlaçant, lui coinçant la tête contre la sienne. Comme une ultime étreinte. Il se laissa rouler sur vers le précipice, emportant avec lui un monstre qui comprit un peu tard que ce combat, pour lui aussi, allait être le dernier. Puis la chute, et le noir. La fin.

Epilogue

Dans le restaurant parisien, seule la Une d’un journal australien, encadrée et accrochée au mur rappelait cette aventure. On y voyait Max, en fauteuil roulant, entouré de sa femme et de son fils, tenant devant lui une grande photo du Thylacine. L’article relatait, en anglais, le périple de ce français qui avait prouvé au monde que le Tigre de Tasmanie existait encore. Les photos, après analyse, ne montraient aucun signe de trucage, et les poils ramenés avaient fini de convaincre les scientifiques. Il était aussi question de son sauvetage in extremis par des secouristes, alertés par Annie, après seulement trois jours. Rongée par l’inquiétude, elle n’avait pas attendu les dix jours avant de tirer le signal d’alarme. Les secours, en hélicoptère, guidés pas le GPS de Max étaient arrivés juste à temps pour voir son combat contre le dingo blanc et assister impuissant à sa chute. Max n’était pas tombé dans l’eau puisqu’il était sur le côté de la rivière. Les sauveteurs s’étaient hélitreuillés en bas, persuadés de ramasser un cadavre, mais les arbres avaient freiné sa chute. Son corps avait quand même subis de sérieuses blessures. Au moment de la rédaction de l’article, personne ne savait si Max remarcherait un jour, sa colonne vertébrale ayant subi des dégâts importants. Il avait eu aussi trois côtes cassées, qui avaient perforé un poumon, une commotion cérébrale sévère ainsi que diverses lésions dues au dingo blanc : griffures profondes à l’abdomen et plusieurs morsures à l’épaule. Même pendant sa chute, l’animal avait cherché à tuer sa proie.

Aujourd’hui, marchant grâce à des béquilles, Max, se souvenait surtout de son réveil

A l’hôpital. Il revoyait Sasha s’approcher du lit, les larmes aux yeux. « Papa, tu l’as fait ! Dans les affaires que les secours nous ont rendues, j’ai trouvé la carte SD et les poils emballés ! C’est incroyable ! Si j’avais le droit de te toucher, je te sauterais au cou ! Tu es un héros ! C’est vrai ! Les secouristes n’ont pas cessé de nous décrire ton combat contre un gros chien blanc ! Même eux, ils n’en revenaient pas.»

Max n’avait pas réussi à retenir ses larmes. De la main il avait cherché celle de son fils. « Je l’ai touché ton Thylacine. C’était magique… » Parler s’avérait assez difficile pour Max, l’intubation qu’il avait subie lui ayant laissé la gorge en feu. « Est-ce que les secouristes ont trouvé ce maudit dingo blanc ? »

-Oui, tu le tenais dans tes bras. Il était mort. Enfin, elle, c’était une femelle. Les secours l’ont ramenée aussi pour les scientifiques. Les dingos ne sont pas censés vivre sur l’île de Tasmanie.

Son regard s’était ensuite posé sur sa femme, grâce à elle, il était toujours là aujourd’hui. Certes, c’était parce qu’elle n’avait pas cru en lui, mais il lui devait la vie tout de même. « Annie, merci du fond du cœur de m’avoir pris pour un fou dans cette aventure et d’avoir prévenu les secours. Les larmes continuaient de rouler sur ses joues. Avec l’argent des photos, on va racheter notre petite affaire à Paris, vendre celle d’ici et désormais, je ne prendrai plus de décision sans toi. Je te le promets »

Annie, en pleurs, parvint de justesse à articuler : « -Tu as intérêt. Et si tu me refais un coup comme celui-là, je serai bien pire que ton gros chien blanc, ça aussi, c’est une promesse. »

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